1 Le besoin d’information de l’être humain
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1.1 Le cerveau supporte mal l’absence d’informations
En général, le cerveau ressent douloureusement l’absence d’informations visuelles ou auditives. Il cherche naturellement à en recueillir par tous les moyens possibles pour pallier ce manque.
Qui peut résister à l’attrait d’une image télévisée, même si le son est coupé ? Remplaçons l’image mobile par un panneau fixe annonçant « Dans quelques instants, la suite de notre programme » et nos yeux, rivés jusque-là sur le petit écran, vont chercher de l’information ailleurs.
Bien qu’impatient de démarrer dès que le feu de circulation passe du rouge au vert, un conducteur est incapable de le fixer plus de quelques secondes sans détourner son regard vers le spectacle de la rue. Là se trouve de l’information, souvent inutile, mais de l’information.
Tous ceux qui pénètrent dans une pièce hautement insonorisée destinée aux mesures acoustiques ont rapidement un sentiment de malaise. La vue n’apporte que peu d’information, car les dispositifs de mesure sont fixes et les oreilles ne perçoivent plus aucun bruit. Ceci rend le séjour insupportable si l’on n’a pas d’activité précise à y mener.
Trop souvent, des programmes informatiques laissent l’écran fixe ou vide pendant des périodes d’une durée variable, dépendant des travaux faits en mémoire centrale. Ces interruptions sont très mal supportées de la part des opérateurs, qui se posent la question de savoir si le programme travaille ou s’il a « encore planté ». Les opérateurs sont alors incapables de prévoir le temps d’attente. Ces exemples confirment le besoin d’obtenir de l’information sur toutes les choses de la vie…
Souvent, dans le contrôle des systèmes fortement automatisés, il ne se passe rien pendant de longs moments. Les mesures des paramètres d’état sont figées à leurs valeurs nominales et, par conséquent, l’instrumentation ne fournit plus d’informations nouvelles.
Que fait l’opérateur dans ces conditions ? Il se fabrique de l’information en pensant à autre chose : le dernier film qu’il a vu, son prochain bricolage, ses problèmes sentimentaux… Il se met à rêver. Mais du rêve éveillé au sommeil, il n’y a qu’un petit pas, surtout si les conditions de confort et les rythmes biologiques s’y prêtent. On observe ainsi une perte de vigilance due à l’absence d’information à traiter par le cerveau.
On voit dès lors apparaître la nécessité de laisser une certaine charge de travail à l’opérateur afin de maintenir sa vigilance. Mais il faut prendre garde à ne pas exiger une activité trop artificielle, comme par exemple un relevé systématique de paramètres. L’opérateur, sachant qu’il ne se passe rien, ferait son relevé de façon automatique, sans pour autant cesser de penser à autre chose, ou encore contournerait la consigne en remplissant ses feuilles de relevé d’un seul coup en début de quart !
C’est ce problème qui survient en conduite sur une autoroute fluide, particulièrement la nuit. Il ne se passe pas grand-chose, donc le conducteur bascule en mode de conduite réflexe. Sa vigilance décroît fortement, il pense à autre chose et, la fatigue aidant, il finit par s’endormir…
On constate que le problème de la vigilance est critique et qu’il se pose de plus en plus du fait de l’automatisation croissante des processus de conduite des installations complexes.
Le but n’est pas de critiquer l’automatisation, car remplacer des contrôles manuels de tâches répétitives et fastidieuses par des contrôles automatiques est une amélioration dans la mesure où c’est un bon moyen d’éliminer une charge de travail qui est sans intérêt pour l’opérateur. Il serait stupide de conserver cette charge de travail sous le simple prétexte de maintenir la vigilance. Il n’est pas évident d’ailleurs que l’accomplissement d’une tâche fastidieuse préserve la vigilance. De plus, il s’avère indispensable pour la sécurité des systèmes d’automatiser des tâches qui exigeraient une habileté ou une rapidité exceptionnelles de la part d’un opérateur.
On remarque que la chute de vigilance ne provient pas de l’absence d’actions, mais de l’absence d’informations. Il n’est donc pas nécessaire d’obliger l’opérateur à accomplir une tâche pour maintenir sa vigilance. Il faut lui fournir de l’information.
Il faut faire preuve d’imagination pour remplacer le manque d’informations qui se produit lorsque les paramètres d’état sont figés grâce aux automatismes par des informations provenant de paramètres évolutifs malgré l’automatisation.
Par exemple, de nos jours, le pilotage des avions de ligne est très automatisé, y compris pendant les phases critiques de l’approche et de l’atterrissage. L’information nouvelle est nulle dans une présentation classique des paramètres de vol. Les vitesses horizontale et verticale, les assiettes, le cap, la position relative de l’avion par rapport à l’axe de descente sont figés aux valeurs nominales. Il ne se passe rien. Certains pilotes, bien que sachant parfaitement que cette phase de vol est la plus critique, reconnaissent qu’ils perdent de temps en temps une partie de leur vigilance. Ils font toute confiance au système automatique.
Si on remplace la présentation classique des paramètres de vol d’un tableau d’instruments par une présentation synthétique du monde extérieur sur un écran de type télévision, tel qu’on le verrait si la visibilité était parfaite, on constate un changement radical du comportement des pilotes.
L’attrait d’une image en couleur sur un écran apparaît. Nous savons tous qu’il est difficile d’arracher notre regard à un écran de télévision, même si le son est coupé et si les images n’ont pas de signification parce que nous prenons une émission en cours… Il faut avoir une forte volonté pour détourner les yeux de l’écran, puis faire un autre effort pour ne pas y revenir !
De plus, la fourniture d’informations au cours de la descente de l’avion devient dynamique car la perspective de la piste se modifie au fur et à mesure qu’on approche de son seuil. Les pilotes ont alors un regain de vigilance facilitant leur intervention en cas d’urgence.
À l’extrême, si on ne peut pas fournir d’information vivante sur l’état du système, pourquoi ne pas fournir une information professionnelle intéressante pour l’opérateur, mais toujours sur un écran ? On peut proposer des simulations du système et de certains de ses sous-systèmes à des fins de maintien des connaissances ou d’approfondissement.
On pourrait aussi permettre à l’opérateur de regarder des vidéos professionnelles sur DVD, dans la mesure où l’écran serait relié au système d’alarme du processus à contrôler qui couperait la projection en cas d’alarme en affichant un message adéquat à l’écran. Il vaut mieux un opérateur vigilant parce qu’il peut se divertir qu’un opérateur endormi parce qu’il s’ennuie.
Le sujet de la monotonie est évoqué par la norme NF EN ISO 10075-2:2000, Principes ergonomiques relatifs à la charge de travail mental – Partie 2 : Principes de conception. Cette norme indique au § 4.3 que « la monotonie s’installe principalement lorsqu’une tâche fait appel à un champ d’attention très restreint, avec des niveaux de difficulté cognitive faibles à moyens, des opérations répétitives, une tâche peu variée ou des conditions d’environnement changeant peu, surtout si elle est effectuée sur de longues durées ». Des lignes directrices concernant la conception appropriée des tâches et des conditions de travail vis-à-vis du problème de la monotonie, et donc de la vigilance, y sont fournies.