1 La valeur d’un produit
Dans cet article, le mot « produit » englobe son sens le plus large, c’est-à-dire qu’il recouvre aussi bien les produits hardware (par exemple, un lave-linge) que le software (par exemple, un logiciel) et les services (par exemple, un billet de transport).
Les racines de la compétitivité durable d’un produit se trouvent dans la maîtrise de sa valeur. Pour l’utilisateur, la valeur représente le rapport qualité/prix, à un instant donné sur le marché international. Pour le concepteur, la valeur représente le rapport fonction/coût, lequel s’optimise durant les phases de développement et d’industrialisation (après, c’est trop tard).
Une entreprise est dite compétitive lorsqu’elle peut supporter la concurrence du marché. En pratique, la recherche de la compétitivité durable s’effectue dans deux domaines dont les comportements s’avèrent différents, voire contradictoires : le marché est souvent instable, tandis que le produit est quasiment stable à cause de sa définition d’origine. Certes, des produits peuvent être modifiés, mais dans des limites étroites, sinon il faut recréer d’autres produits…
Le marché est instable car les acheteurs sont versatiles, la concurrence est farouche, l’innovation technologique permanente, les taux de change des monnaies fluctuent avec de larges amplitudes, les fiscalités varient selon les États, les normes et les règlements évoluent en fonction des denrées et des pays… En opposition, les produits demeurent stables parce que leur conception et leur industrialisation les ont figés. S’ils ne correspondent pas à l’attente du marché, il est difficile de les ajuster, il faudrait carrément les reconcevoir. Mais ceci génère des coûts élevés de transformation puis de requalification. Force est alors de constater que le développement initial est un échec.
On regroupe toutes les démarches, les méthodes et les outils de recherche de la compétitivité durable sous le vocable de « management par la valeur ». Mais il est essentiel de comprendre que le mot « valeur » recouvre trois concepts distincts et complémentaires :
– la valeur d’échange : deux agents économiques conviennent d’une somme d’argent à verser pour acheter le produit. Par exemple, si un chèque de 18 000 € est fait par un client pour obtenir les clés de l’automobile neuve qu’il a choisie chez le concessionnaire, ceci représente la valeur d’échange ;
– la valeur d’usage (dite aussi d’utilisation) : un seul agent économique intervient, c’est l’utilisateur. Le produit rend les services attendus, même s’il est vieux, démodé et s’il ne représente plus de valeur d’échange sur un marché. Par exemple, c’est le cas d’une vieille automobile, parfaitement entretenue, fonctionnant sans aucun problème… mais qui n’est plus cotée à l’argus. Elle peut rendre à son utilisateur les mêmes services qu’une neuve, et même plus, si la neuve a des défauts ! La valeur d’usage se démarque de la valeur d’échange pour de nombreux produits anciens ;
– la valeur d’estime : peu importe la valeur d’échange, peu importe la valeur d’usage, même s’il n’y en a pas. Le produit est ici apprécié pour ce qu’il est. Il doit plaire, c’est tout. Par exemple, c’est le cas d’un tableau, d’une décoration, d’une voiture de collection même si elle ne fonctionne plus. Remarquons que la valeur d’estime est subjective, donc très variable d’une personne à une autre.
En pratique, un produit s’avère être une combinaison à l’équilibre subtil entre ces trois concepts de valeur. En effet, lors de la conception des produits, les confrontations risquent d’être nombreuses entre les membres du groupe de travail, car les points de vue diffèrent selon leurs origines. Le bureau d’études d’un côté, le commercial d’un autre ou le designer industriel voient toujours le produit sous un angle différent, celui qui correspond à leur métier respectif… Le bureau d’études se place naturellement sous l’angle du dimensionnement du produit. Le commercial analyse en priorité les prix du marché et la plus ou moins grande facilité à vendre. Le designer examine la valeur d’estime quant au choix des matériaux, des formes et des couleurs. Par exemple, si un designer veut lancer une nouvelle forme d’automobile avec des phares proéminents (valeur d’estime), le bureau d’études s’y oppose à cause du mauvais aérodynamisme ou bien prévient que la consommation d’énergie en sera augmentée (valeur d’usage), ce qui fait réagir le commercial car il considère cela comme un contre-argument de vente (valeur d’échange).
Pour la personne qui doit faire un choix, la valeur traduit l’optimum du rapport performance technique/performance économique. C’est souvent ce qui est appelé une « valeur sûre » dans un catalogue de fournisseurs, c’est-à-dire le meilleur rapport qualité/prix pour l’acheteur. Mais pour le concepteur, cet optimum devient concrètement le rapport entre les fonctions quantifiées par les performances attendues du produit et son coût prévisionnel de réalisation.
La démarche managériale qui permet la réalisation de l’optimum est le management par la valeur. Il développe un cadre d’application appelé conception pour un coût objectif (CCO) ou design to cost, ou bien conception pour un coût global objectif (CCGO) ou design to life cycle cost. Le premier concerne la maîtrise du prix d’acquisition pour le client, tandis que le second intègre toutes les phases du cycle de vie du produit ou service concerné, c’est-à-dire qu’il concerne la maîtrise du prix de possession pour le client. Dans tous les cas, il s’agit de prix de marché. La norme NF X 50-156 guide le management de projet (conception à objectif désigné) et le concepteur afin d’atteindre ces résultats.
Pour la CCO**cco-00141** et pour la CCGO, les méthodes à utiliser sont les mêmes : c’est le périmètre de l’action qui varie.
La valeur est en quelque sorte l’aptitude d’un produit à être désiré. L’analyse de la valeur est la méthode qui permet de concevoir un produit de telle sorte qu’il assure au mieux la satisfaction du client et qu’il soit rentable pour l’entreprise. L’analyse fonctionnelle est la première étape du management par la valeur. Elle permet de traduire ce qu’attend le marché. Sa mise en œuvre débouche sur l’écriture d’un cahier des charges fonctionnel (CDCF), dont le contenu est régi par la norme NF EN 16271 (très connue des praticiens sous son indice historique NF X50-151).
Il faut donc concevoir les produits pour les fonctions attendues par l’utilisateur, et pour la cible de coût sur le segment de marché visé. Le coût d’un produit devient désormais un élément de sa conception. Il représente une performance économique à atteindre, tout aussi importante que la performance technique, lors des choix de conception (architecture, dimensionnement, etc.). Il ne doit plus être la seule conséquence des solutions techniques choisies, d’un perfectionnisme technologique et/ou de la production de masse basée sur une vieille image de marque de l’entreprise. Le coût d’un produit ne doit plus être découvert à la fin de son développement, lorsqu’il est trop tard pour agir. Il doit être déterminé dès l’origine, en fonction du niveau des performances attendues, et compte tenu de la demande sur son marché.
Le coût cible peut être défini en tant que coût complet de revient en production si le produit est consommable ou si la société n’est pas engagée dans les phases d’exploitation, de maintenance et de retrait de service. C’est le cas par exemple du coût d’acquisition d’un vêtement ou bien d’un appareil électroménager, pour le client.
Le coût cible peut aussi être le coût du cycle de vie du produit si celui-ci est réutilisable et si les négociations contractuelles entre le client et le fournisseur l’imposent. C’est le cas par exemple de l’heure de vol pour un avion, du coût de revient au kilomètre d’une automobile, du coût de possession d’un bâtiment ou encore d’un système d’armement pour la défense d’un pays.