1 Se reposer totalement sur un groupe (verrou n° 7)
Le risque est de penser qu’un groupe prendra obligatoirement la bonne décision parce que de nombreuses personnes intelligentes et compétentes le constituent.
Le groupe de travail apporte indéniablement une synergie dans la réflexion, mais il ne constitue pas une garantie totale, et pire que cela, des mécanismes collectifs de pensée peuvent constituer des dangers pour une bonne décision.
« Ce n’est pas parce qu’ils sont nombreux… à avoir tort… qu’ils ont raison », disait un humoriste.
L’intérêt principal d’un groupe pour l’aide à la décision réside dans l’organisation des débats entre les arguments et les contre-arguments à toute orientation. Du choc des idées naît la vérité, ou au minimum un éclairage nouveau.
En principe, la dynamique du groupe permet de mieux connaître le problème grâce aux débats qui sont organisés en son sein. Néanmoins, le succès des délibérations sera fonction de la qualité du management de ce groupe pour rechercher un consensus, ou pour trouver un compromis dans les désaccords entre ses membres.
Dans un premier temps, les participants doivent être incités à avoir des idées sans censure a priori. Dans un deuxième temps, ils analyseront en détail les données issues des débats qui doivent absolument rester rationnels. S’ils devenaient politiques ou psychologiques, l’effet escompté serait perdu.
En pratique, les risques proviennent de la mauvaise constitution ou de la mauvaise animation du groupe. Il arrive que les membres se mettent d’accord, a priori, sur un choix. La méthode devient alors un simple alibi et est mal utilisée car trop de données deviennent biaisées. Les idées contraires au parti pris initial du groupe ne peuvent plus voir le jour. Elles sont étouffées dès l’origine.
L’exemple des décisions du haut État-major français lors de la Deuxième Guerre mondiale en est un bien triste témoignage. La forêt des Ardennes était déclarée impénétrable à des colonnes blindées allemandes. Le général allemand Guderian avait réussi la percée de Sedan. Hitler en était lui-même si surpris qu’il avait donné l’ordre à son général de consolider son avance avant de poursuivre. Les idées contraires du colonel de Gaulle, à l’époque, n’avaient permis que de tenter la contre-attaque de Montcornet pour essayer de prendre en tenaille l’avance allemande. Les moyens étaient trop limités et la situation déjà trop dégradée.
Considérant le terrain, Guderian avait choisi de son propre gré de foncer vers la mer, générant la fameuse poche de Dunkerque après avoir pris, sur ses arrières, le corps expéditionnaire franco-britannique basé sur le canal Albert en Belgique. La débâcle s’ensuivit. La ligne Maginot issue de la pensée unique française tenait bon, mais elle était définitivement isolée et donc inutile.
Il faut méditer les ravages des dogmes et de l’aveuglement de certains dirigeants.
Est-il utile d’insister, en évoquant la cuvette de Diên Biên Phu le 7 mai 1954 au Vietnam…, qui a signé la fin de la présence française, ce qui n’était pas la finalité du moment ?
En dehors du domaine militaire, faut-il rappeler la décision du Président Chirac, en 1997, prise sur recommandation de tous les conseillers de « sa garde rapprochée », de dissoudre l’Assemblée nationale, qui lui restait pourtant favorable, afin de soi-disant rassembler sa majorité ? Le résultat en a été une nouvelle cohabitation, ce qui n’était pas la finalité recherchée.
Des chercheurs ont analysé après-coup les bévues de groupe qui ont conduit à des catastrophes spectaculaires comme, par exemple, celle de la navette spatiale américaine Challenger en janvier 1986.
Les vecteurs majeurs de l’échec peuvent se résumer aux points ci-après :
- L’importance de la décision, la complexité du sujet, des délais hypertendus conduisent à une pression nerveuse extrême exercée sur les membres du groupe de travail.
- Les membres se connaissent plus ou moins, mais ils s’apprécient soit directement sur le plan humain soit parce qu’ils ont un fort intérêt commun à poursuivre dans le groupe. Ils voudraient préserver la cohésion du groupe dans lequel ils s’y trouvent bien.
- Il arrive que le chef de projet, au profit de qui les travaux se font, ait clairement indiqué ses souhaits au démarrage du groupe en termes de solution à trouver. Ceux-ci amènent alors à démontrer que le choix doit se porter sur la solution unique qui y répond et qui est celle déjà préférée par le chef de projet. Il en sera alors théoriquement reconnaissant au groupe.
- La pression exercée sur un membre du groupe en désaccord avec l’opinion de la majorité s’avère trop importante et il doit capituler. Il est en quelque sorte emporté par la vague.
- L’autocensure de certains membres, qui ne veulent plus confronter leur opinion, par peur d’inutilité ou par peur de ridicule dans l’environnement dans lequel ils se trouvent plongés, laisse la place libre aux idées des autres.
Pour les personnes les moins prédisposées à défendre leurs opinions par des arguments sérieux, le désir de se conformer au « sens du vent » l’emporte. Sur le plan théorique, deux têtes valent mieux qu’une, mais les personnes s’influencent les unes les autres, si bien qu’elles ne tirent plus toujours profit de leurs idées personnelles.
L’art de faire produire à des groupes de bonnes décisions peut se résumer par les recommandations suivantes :
- Des personnes compétentes et motivées doivent être pilotées dans le groupe par un animateur professionnel qui apportera le support méthodologique nécessaire. L’animateur est neutre quant à l’intérêt qu’ont certains à plaider pour telle ou telle solution.
- Les désaccords rationnels dans un groupe sont à analyser car ils sont sources d’idées productives pour le problème à résoudre.
- Le groupe ne doit pas être hiérarchique, même si le chef de projet y contribue. Il est fortement demandé que ce chef laisse librement fonctionner le groupe sans tenter de l’influencer. Dans le cas inverse, il écrase les idées des autres.
- La recherche d’un consensus est souhaitable, sinon d’un compromis jugé raisonnable par chacun.
- Il faut systématiquement séparer les faits constatés sur le terrain, des jugements de valeur qui peuvent s’y rapporter.