1 La passion au travail – Mythe ou réalité ?
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1.1 Un exemple
J’imagine que le rêve de tout un chacun est de se découvrir une vocation qui servirait de fil conducteur à une vie enivrante, faite de lumière et d’émotions. J’imagine que le rêve de tout chef d’entreprise est de compter dans son effectif des gens passionnés qui contribueront à générer une performance globale et durable de sa société. Comment concilier ces deux points de vue mais d’abord, comment peut naître une passion au travail ? C’est difficile à expliquer, mais on pourrait tout simplement commencer par un exemple pris au hasard, le mien.
Je n’ai pas l’habitude de raconter ma vie mais en l’occurrence, je pourrais dire, en parodiant André Frossard[1], académicien et catholique fervent, que la passion existe, je l’ai rencontrée. Je l’ai rencontrée alors que j’avais 28 ans. Après quelques études chaotiques, je suis entré dans le monde cruel du travail à l’âge de 25 ans, marié et papa de deux enfants, et sans aucune idée de ce que je pourrais faire pour nourrir ma famille. Le poste de « surveillant » que j’occupais dans un collège (on disait « pion » à l’époque) ne pouvait être alloué qu’à un étudiant et mon épouse institutrice ayant choisi de rester à la maison les premières années pour s’occuper des deux garçons, j’étais seul à assumer le côté matériel. J’ai travaillé dans une compagnie d’assurance puis comme commercial dans une société qui vendait du matériel de chauffage. Je n’avais pas beaucoup d’aptitude pour le commerce mais ces boulots payaient plutôt bien. Et puis, un jour, dans cette dernière société, j’ai eu une altercation un peu vive avec mon chef d’agence et j’ai été viré du jour au lendemain. Je n’ai rien dit à mon épouse pour éviter de l’inquiéter et dès le premier jour de vacances, je partais comme d’habitude avec ma petite sacoche et mon petit costume, comme si rien ne s’était passé. Je m’installais dans un bistrot avec les journaux du matin, j’épluchais les petites annonces et je me rendais à des rendez-vous d’embauche dans les sociétés du coin. Heureusement, à cette époque bénie, le travail ne manquait pas. C’est ainsi que moins d’une semaine plus tard, j’étais embauché dans une grosse manufacture à Besançon, ville où je résidais. À ce moment de ma petite histoire, il faut vous dire une chose. Je suis originaire du pays de Montbéliard, fief des usines Peugeot (automobile, outillage, bicyclette, mobylette, etc.) et mon premier cycle d’étude m’avait naturellement conduit à obtenir un BTS de mécanicien (j’adorais la mécanique). Après l’obtention de ce diplôme, tous mes copains partaient bosser à la « Peuge » comme on disait alors et moi je m’étais juré de ne jamais travailler dans une « usine ». J’avais d’autres ambitions, en l’occurrence de poursuivre mes études, en maths-physique à la faculté des Sciences de Besançon, pour être enseignant. Toujours est-il que, pour en revenir à ma recherche d’emploi, c’est mon BTS qui me donnait le plus de chances d’embauche et j’ai dû alors renier ma promesse de ne jamais travailler dans une usine de production. Nécessité fait loi, aurait dit ma chère grand-mère. Il y avait une place de dessinateur dans cette usine (une manufacture américaine de montres qui comptait alors un effectif d’environ deux mille employés). Mais le chef du personnel, au cours de l’entretien, m’avoua que je serais mieux dans un autre service intitulé Industrial engineering (en gros « études industrielles et techniques »). Le hasard est curieux, il provoque des choses, chantait le grand Charles Aznavour. C’est ce qui s’est passé pour moi. J’y suis rentré et j’y ai rencontré ma passion : l’organisation du travail, puis quelques années plus tard le management de la qualité. J’y suis resté dix ans, jusqu’à ce que la situation de cette magnifique entreprise se détériore en France. Je suis parti et j’ai créé mon entreprise de consulting.