1 Historique de l'évaluation dans le secteur social et médico-social
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1.1 Un secteur particulier... au sein des "services humains"
Il est possible de définir les services humains par leurs finalités et leurs caractéristiques de fonctionnement... Ces deux portes d'entrée ne manquent pas de révéler au passage une culture professionnelle, des paradigmes et une répartition très spécifique des ressources et de leurs origines.
Pour simplifier, là où l'humanisme se professionnalise et devient un métier, on peut parler de services humains : aide à la personne en difficulté, accompagnement au développement de toutes générations, soins et rééducations...
Ces services représentent une activité économique de plus en plus importante dans les pays développés...
Au sein des services humains, on peut distinguer trois grands secteurs :
- l'éducation et la formation ;
- la santé ;
- le social et le médico-social.
Même si de nombreux principes présentés dans cette contribution sont susceptibles de s'appliquer à l'ensemble, nous limitons notre approche méthodologique au secteur social et médico-social.
Certaines publications récentes estiment à 30 000 le nombre d'établissements et services médico-sociaux...
Pour bien comprendre l'état actuel des systèmes de management de ce secteur, il faut faire un bref retour sur son passé récent (tableau 1.1).
Tableau 1.1 – Les grandes étapes de la recherche de maturité du secteur médico-social Période
Qui intervient ?
Comment intervient-on ?
L'esprit managérial
Grande question
Avant la 2e guerre
Des bénévoles, des "œuvres".
Avec dévouement et un engagement personnel.
La charité... répondre aux urgences.
Quel projet pour les établissements ?
1950/1960
Des pionniers, des "mouvements d'éducation".
Avec des idées et un réel optimisme.
Il faut "prendre en charge".
1960/1970
Des parents, des institutions, des partis.
Avec le soutien des pouvoirs publics et des élus.
Il faut "aider" et "s'entraider", l'État paiera.
1970/1980
Des travailleurs sociaux.
Le règne de la parole, les lois de 1975.
Il faut intégrer et "faire vivre une vie aussi normale que possible", les associations se structurent.
1980/1990
Des professionnels mieux formés, des chercheurs et gestionnaires.
La maîtrise des budgets, le contrôle des conventions collectives.
Il faut "accompagner pour insérer".
Faut-il évaluer ?
1990/2000
Des professionnels et des bénévoles sensibilisés au management.
Les redéploiements, les reconversions... la perte de l'illusion de l'état Providence.
Il faut réformer, redéployer et réviser les lois de 1975...
Faut-il manager la qualité ?
2000/2010
Des professionnels (re)découvrant le travail en équipe ?
Des regroupements, des fusions, des fermetures... ?
Il faut rechercher l'efficience ?
Comment manager l'éthique des pratiques ?
Ainsi, les années 50 avaient été celles des pionniers et des projets novateurs... Le poids des convictions tenait lieu de dossiers... Il ne s'agissait pas encore de gérer, mais de créer... de répondre à des besoins (des prises en charge...) pressentis.
Les années 60 virent le grand développement de la plupart des grandes organisations actuelles... L'optimisme économique et social de ce début de période permit au secteur de se doter de ses réglementations de base et d'envisager sérieusement de professionnaliser les métiers. Un auteur a pu écrire un peu plus tard : "C'était l'épopée des châteaux".
Les années 70 resteront pour toujours empreintes du dévouement des premiers travailleurs sociaux, militants fraîchement diplômés, actifs défenseurs des valeurs fondatrices du secteur des services humains. On s'interrogeait à l'époque (déjà) sur le projet des institutions : Fallait-il écrire un projet... ? Qu'est-ce qu'un projet... ? Bien que plus récent, l'écrit symbolique le plus pertinent des idées de cette époque est certainement le livre de J.-P. Boutinet sur l'anthropologie du projet...
Les années 80 ont vu se développer des réflexions pertinentes conduites à la fois par des professionnels inscrits dans des démarches de formation, voire de recherche, mais aussi des fonctionnaires et des représentants d'usagers très actifs.
Parmi les fonctionnaires, citons Monsieur J. Ferragus, fondateur avec d'autres de ce qui allait devenir le Comité européen pour le développement de l'intégration sociale (CEDIS) qui essaiera de diffuser les expériences intéressantes d'évaluation du Québec (méthodes FAP - PASS - PASSING) que l'on a peut-être un peu trop vite oubliées...
C'est à cette période que fleurirent un peu partout des colloques et initiatives sur le thème de l'évaluation. Faisant intervenir des experts de toutes disciplines, on entendit tout et rien sur rien et tout...
Les expériences nord européennes et québécoises furent amplement développées, ce qui permit à plusieurs centaines d'établissements et services d'en profiter... Il en reste encore aujourd'hui des traces concrètes au travers notamment du concept de Valorisation des rôles sociaux, mais ces approches rationnelles se noyèrent dans un fatras de propos fortement teinté d'un rejet des sciences du management...
Que dire des années 90 sur lesquelles nous manquons encore un peu du recul nécessaire à une synthèse en quelques lignes... Certains mots les caractérisent : essai de maîtrise budgétaire, rigueur... et peut-être une légère perte de confiance des autorités de tarification (et de certains élus) vis-à-vis des associations (statut majoritaire chez les gestionnaires) et de leurs travailleurs sociaux... N'oublions pas que le secteur concerné a vécu là la réforme dite de la décentralisation... qui n'est pas encore terminée, et avec elle une redistribution des pouvoirs et des responsabilités...
Jean-Luc Joing, "Les services humains... entre management de papier et métrologie sociale", in Revue ISO International, novembre 2005