1 Le nouvel environnement du dirigeant
Dans le cadre de cette série d’articles consacrés au leadership et à l’engagement de la direction, l’article « L’environnement complexe de l’entreprise et l’approche systémique » a expliqué les particularités des systèmes complexes que sont devenues aujourd’hui les entreprises, ainsi que la nécessité d’adapter les styles de management à ces nouvelles formes d’organisation.
Le présent article explorera les référentiels classiques (ISO 9000, ISO 9001, ISO 9004, ISO 26000, modèle EFQM[1]) pour présenter quelques exemples de dispositions relatives aux nouveaux modes de gouvernance et pour illustrer la nécessité, pour les directions générales, d’adopter des postures de leader.
La notion de leadership est complexe, et la langue française ne possède pas d’équivalence acceptable. On emploie très souvent le mot « manager » (hélas de connotation anglo-saxonne, lui aussi), mais ces deux vocables n’ont pas tout à fait le même sens. Un leader peut être reconnu comme tel sans être nanti d’une autorité officielle alors qu’un manager est forcément désigné et dispose d’un statut avéré.
Dans un contexte stable, il n’est besoin que de managers, c’est-à-dire de personnes qui savent fixer des objectifs et organiser le travail afin que ces objectifs soient atteints. Elles donnent des directives claires et précises pour que les différentes tâches soient réalisées en respectant le budget, les délais et les ressources disponibles. On peut espérer que ces managers seront performants, c’est-à-dire qu’ils sauront aussi déléguer et faire confiance, être à l’écoute de leurs équipes, valoriser les compétences de leurs collaborateurs, se remettre en question, montrer l’exemple et savoir reconnaître l’échec comme la réussite. Bien évidemment, si le manager fait preuve d’un certain leadership, la performance sera accrue, mais ce n’est pas nécessaire pour qu’une entreprise perdure dans ces conditions environnementales.
Cette notion de leadership n’est pas nouvelle en soi, mais elle devient un objet d’attention de tous les dirigeants soucieux de la pérennité de leurs organismes. Dans un environnement chaotique (notre monde VUCA[2]), il faut gérer un paradoxe assez complexe à propos de la prévision. On ne peut pas ne pas faire de projet, ce qui reviendrait à se laisser aller au fil du courant, mais en même temps, toutes les prévisions que l’on peut faire sur un assez long terme ne sont pas fiables.
Certes, par définition, une vision de l’avenir n’est jamais fiable à moins que l’on ne soit doté de pouvoirs de voyance. Il est nécessaire qu’un dirigeant (leader ou non) décide de ce que sera son organisme à un horizon de cinq à dix ans, et que cette vision soit partagée. C’est le cap. Comment, nous le verrons plus loin. Si le partage est réussi et que chaque collaborateur l’a intégré, alors la machine peut et doit fonctionner seule, comme un système vivant qui réagit aux stimuli de son environnement pour survivre et aller de l’avant.
Une vision ne peut être partagée avec un management traditionnel tel que ceux que nous avons hérités de la culture militaire, avec une hiérarchie dont on ne discute pas les ordres. C’est le principe du pouvoir institutionnel et contractuel : « Vous faites ce que je vous dis parce que je suis le chef. » Le chef impose et les collaborateurs obéissent. C’est le style « autocratique ». Il en existe d’autres, bien entendu. On évoque des modèles participatifs, consultatifs, démocratiques, etc. En fait, il peut et il doit y avoir combinaison de plusieurs approches. Il est possible d’adopter un genre démocratique au quotidien lorsque tout se passe normalement. Cependant, lorsque l’on traverse une situation de crise, il faut préférer une forme plus autocratique afin que les décisions (bonnes ou mauvaises) soient mises en œuvre rapidement.
Hélas, la notion de crise évolue elle aussi. Dans un monde VUCA, la crise est permanente (j’exagère un peu) et le dirigeant autocratique ne peut être partout à la fois. Il faut réserver ce style de fonctionnement aux crises graves (comme la pandémie que nous avons vécue récemment) au cours desquelles il reprend la barre du pouvoir opérationnel pendant une certaine période. En situation de crise « ordinaire », le pouvoir opérationnel est abandonné au bénéfice de tous les collaborateurs. C’est là que réside la difficulté et c’est là que le leadership devient un facteur de réussite.
C’est compliqué, car cette réussite espérée ne sera pas obtenue avec un seul leader. Il ne suffit pas que le dirigeant soit un leader pour que son entreprise génère de la performance durable. Il faut que chaque collaborateur devienne un leader à son niveau.
On pourrait objecter que les qualités dont doit faire preuve un leader ne s’appliquent qu’à ceux qui ont un statut d’encadrement, ceux qui gèrent du personnel. Si les qualités en question sont : savoir faire confiance, fixer des objectifs clairs, personnifier les valeurs de l’entreprise, permettre l’échange et la transmission du savoir, récompenser les bonnes initiatives, encourager le changement, être enthousiaste en toutes circonstances, communiquer en toute transparence, savoir écouter, etc. alors on comprend que cela ne concerne que ceux qui ont un statut dans l’organigramme. En fait, s’il est nécessaire que chacun soit leader à son poste de travail, c’est pour être en mesure de prendre des initiatives pertinentes et adéquates et pour travailler dans un esprit d’équipe en impliquant les autres dans les décisions.
Dans les paragraphes qui suivent, nous oublierons un peu cette approche particulière et très large du leadership pour nous consacrer à celui du dirigeant et, par mimétisme, à celui de son encadrement proche si nécessaire. Je propose que cette réflexion sur la gouvernance et le leadership s’appuie sur la lecture et l’analyse de quelques référentiels de management. La liste qui suit n’est pas exhaustive, bien entendu, mais elle réunit ceux qui sont parmi les plus connus du monde de l’entreprise et des organisations. Dans la lecture des référentiels qui vont nous aider à comprendre cette notion, il est essentiellement question du leadership des dirigeants.