1 Vous avez dit pathologie ?
Toute la méthodologie qualité a pour objectif de remédier aux divers dysfonctionnements qui manifestent la non-qualité d’un système organisationnel.
Le fameux diagramme d’Ishikawa a été l’un des premiers outils d’analyse pour essayer d’en rendre compte en prenant dans ses filets en arête de poisson les origines des défaillances liées aux machines, au milieu, aux méthodes, aux matières et à la main-d’œuvre. Par la suite, diverses techniques se sont relayées pour diversifier l’appréhension des dysfonctionnements, alors même que Edwards Deming avait péremptoirement déclaré, dans l’un de ses quatorze principes, que 94 % des erreurs étaient dues aux procédures et 6 % aux hommes 1 .
Question : qui applique les procédures ? Corollaire : qui les fait appliquer ?
En fonction de cette réponse univoque puisque ce sont les salariés qui exécutent des modes d’emploi, suivent des procédures et réalisent les activités découlant de leurs missions à l’incitation du management qui les encadre, nous nous demanderons donc quelles sont les sources de défaillances des hommes et des femmes quand ils appliquent des procédures qui s’avèrent inadaptées et produisent de la non-qualité. Comme le dit et le répète Phil Crosby, c’est elle qui coûte cher et c’est elle qu’il faut combattre 2 car la qualité et les moyens de l’établir, « c’est gratuit » !
Pour nous, il est clair – et c’est ce que nous entendons démontrer dans cet article – que la non-qualité ainsi produite est directement liée à des sources endogènes, d’une part (caractéristiques de personnalité inadaptées à un poste de travail, compétences non conformes audit poste, alcoolisme par exemple), mais aussi à des causes exogènes dans lesquelles le management tient une place prépondérante : harcèlement moral et sexuel, faible niveau de compétence dans les différents domaines de sa mission d’encadrement, attitude méprisante ou massacrante... tandis que les processus de désadaptation dénigrés par les différents services qui devraient en tenir compte (service RH, médecine du travail, hiérarchie) contribuent à cette conséquence dont l’observation quotidienne n’échappe pas davantage à la sagacité du personnel d’encadrement qu’aux responsables des services des ressources humaines.
Autrement dit, la non-qualité d’un système organisationnel est déterminée, dans une très large proportion, par la non-qualité du management dans l’exercice de sa mission relationnelle. Elle est aussi le résultat de la désaffection du service des ressources humaines de la prise en charge du salarié tout au long de sa carrière en termes de dialogue et non en termes administratifs. Elle est aussi complètement occultée par le service qualité le plus souvent rivé sur ses indicateurs de conformité du produit et du service aux exigences normatives, ainsi que sur l’élaboration et le contrôle de l’application des normes et des procédures, toujours plus soucieux de la satisfaction du client final et de slogans à la mode que de la satisfaction de tous les acteurs du réseau clients-fournisseurs, et notamment celle des salariés.
Dans cet article, nous consacrerons notre analyse à la responsabilité du management. Cependant, la démonstration peut se décalquer parfaitement pour s’appliquer au service RH dans ses relations avec les salariés comme au service qualité ou à la médecine du travail. Cette compétence relationnelle, exigée de l’encadrement, retentit ensuite en cascade à tous les stades de la relation (entretiens, réunions, rencontres fortuites) et dans tous les nœuds du réseau relationnel constitué par le réseau clients-fournisseurs internes et externes jusqu’à se traduire dans l’insatisfaction du client final.
-
1.1 Des méthodes qualité qui nient le facteur humain
Dans la lutte contre la non-qualité essentiellement vouée à l’édification de normes et de procédures en niant l’importance du facteur humain dans ce qu’il a d’unique et d’exigence relationnelle, différentes méthodes (dont SPC [statistical process control ], FMEA [analyse et évaluation des modes de défaillances], 8D [huit disciplines], AMDEC 3 ) apportèrent leur contribution. Ainsi fut édifiée une démarche dédiée au TQC (Total Quality Control), ensemble de normes et de procédures désincarnées traduites dans des manuels d’assurance qualité dont les utilisateurs ne comprennent pas toujours le sens et l’utilité en l’absence d’une formation en profondeur immergée dans les valeurs de l’organisme et la connaissance de ses objectifs.
Plus tard vint un espoir de rectifier le tir avec l’émergence du concept du RCF (relations clients-fournisseurs) dont la prise en compte des exigences de chacun des acteurs du système devait conduire à la satisfaction du client final. Or ce réseau fut appréhendé comme circuit et processus d’information, terrain d’exercice des nouvelles technologies de l’information et de la communication toutes-puissantes et non comme un tissu humain fait de chair et de sang, de passions et d’émotions, de quiproquos et de non-communication, d’antagonismes et de chausse-trappes parce que la nécessaire compétence communicationnelle de chacun des acteurs était négligée.
Au regard de la norme NF EN ISO 9000:2005 4 , la déclinaison FD X50-183:2002 5 précisait 6 dès 2002 que, pour obtenir un service ou un produit de qualité, « il faut que chacun des acteurs impliqués soit compétent ». Or cette compétence a été comprise au sens le plus restrictif comme la seule compétence technique, alors que celle-ci ne peut être mise effectivement en œuvre de façon optimale que si les compétences relationnelles, qui sont exigées dans toute fonction, sont exercées elles aussi à leur meilleur niveau.
Dans cette perspective sont concernées, en tout premier lieu, les compétences relationnelles du personnel d’encadrement qui doit montrer l’exemple dans ses rapports avec autrui, notamment avec ses collaborateurs comme avec tous les autres acteurs du réseau relationnel dans lequel il est impliqué. À cette occasion, le management doit faire montre d’un éventail de compétences relationnelles d’une extraordinaire ampleur et d’un haut niveau 7 alors que celles-ci ont été peu encouragées par l’école, rarement enseignées par le lycée ou à un niveau insuffisant, négligées par la formation des grandes écoles et peu développées par les services dédiés à la formation permanente 8 . Ainsi le management se trouve maintenant fortement démuni alors que les exigences des salariés ont crû en termes d’écoute, de reconnaissance, d’information, d’expression et de progression et que la mondialisation conduit les responsables à diriger des équipes multiculturelles dont la cohésion doit être obtenue par l’excellence de leurs compétences relationnelles.
Dans ces conditions paradoxales, la qualité du produit et du service s’améliorait et la prise en compte de l’homme au travail reculait dans les deux dernières décennies du siècle écoulé. Ainsi chez Ford France, dans l’usine de boîtes de vitesses de Bordeaux, la qualité gagnait du terrain et cette usine passait de 80 % de rebuts en fin de chaîne à 0,5 % dix années plus tard, grâce à l’application d’un programme vigoureux pour – à l’aide de ces méthodes et de ces outils qualité – copier le système Toyota. Cependant, le stress puis le burn out 9 proliférèrent en une palette de troubles psychosomatiques dans les entreprises françaises pour déboucher sur une véritable pathologie endémique. Cette pathologie se traduisit immédiatement dans les faits par un taux d’absentéisme situé en moyenne autour de 10 % et par l’émergence de suicides en série dans les entreprises du secteur automobile notamment, comme le révèle le Conseil économique et social qui recense un suicide par jour causé par le stress lié au travail (EDF, PSA, Renault). Suite à l’un de ces suicides, un arrêt de la Cour de cassation du 27 février 2007 renforce l’obligation de l’employeur quant à sa responsabilité pour garantir la sécurité au travail des salariés. Citons aussi, parmi ces facteurs de non-qualité dus aux conditions de travail ayant un effet direct sur l’absentéisme en général et l’employabilité des seniors en particulier, les cancers liés à l’amiante et les 13,5 % des salariés français exposés à des sources cancérigènes 10 .
Outils de management – Ressources humaines dans un système de management de la qualité – Management des compétences, AFNOR, juillet 2002.
70 000 personnes sur 28 millions de salariés (soit 0,25 %) ont participé en 2007 à des formations relationnelles. Dans cette catégorie sont incluses les formations aux langues.
Jean-Jacques Walter dans Les Machines totalitaires et Hanna Arendt dans Le Système totalitaire s’accordent pour le définir comme un organisme écrasant le moi de ceux qui le constituent.