1 L’expression de besoins
Après avoir étudié les conditions à remplir pour faire de cet outil une véritable aide à la décision (« Qu’est-ce qu’un bon outil d’aide à la décision ? »), nous allons étudier les étapes clés de sa mise en place. Parmi ces étapes, la plus importante est la phase dite « d’expression de besoins », car la manière dont elle est réalisée conditionne étroitement le succès de sa mise en place et son résultat final. Mais qu’entend-on exactement par « expression de besoins » ? Comment cette notion se concrétise-t-elle sur le plan pratique ?
Une expression de besoins est un acte rationnel et constructif dont le but est de définir et de clarifier un ou plusieurs besoins, quels qu’ils soient, tant sur le fond que la forme. En matière de gestion économique, cet acte a souvent pour but de contribuer à solutionner une ou plusieurs problématiques (actuelles ou à venir) auxquelles l’entreprise ou association est confrontée ou risque de l’être (à plus ou moins brève échéance). Ce type de besoin concerne, pour l’essentiel, les moyens nécessaires à la réalisation d’une meilleure gestion de l’entité économique concernée : logiciels, matériels informatiques (fixes ou « nomades »), site Intranet, reporting, tableaux de bord, indicateurs de pilotage et/ou d’alerte, budgets…
En ce qui concerne les outils d’aide à la décision, la phase d’expression de besoins est une étape incontournable qui permet d’obtenir une vision claire de ce dont ont besoin les décideurs internes (dirigeants, managers, actionnaires ou actionnaires…) ou externes (partenaires économiques clés) de l’entreprise ou association, pour pouvoir prendre la bonne décision au bon moment en toute circonstance. Cette vision s’obtient grâce à une démarche simple et méthodique, avec comme « fil directeur » le bon sens et l’aspect pratique. Pour ce faire, l’expression de besoins doit respecter quatre étapes distinctes et complémentaires.
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1.1 Collecter les besoins utiles pour décider
Dans la pratique, cette première étape est souvent considérée comme une tâche longue, fastidieuse et à faible valeur ajoutée, pouvant parfois durer plusieurs mois dans les entités économiques dont l’activité est complexe, le nombre de métiers et de fonctions est élevé et dont l’organisation manque de clarté.
La perception négative de cette étape est souvent liée à un problème de méthode. En effet, dans plus de 80 % des cas d’échec de mise en place d’outils décisionnels, la première des causes en est le manque d’efficacité de la collecte des besoins. Cette insuffisance est due principalement au fait que les décideurs confondent le désir d’obtenir telle ou telle donnée et le besoin de comprendre une situation déterminée. En d’autres termes, ils perdent leur temps à inventorier les différentes données ou indicateurs dont ils pourraient disposer – ce qui les amène parfois à une longue liste « à la Prévert » – plutôt que de se poser les bonnes questions pour définir leurs véritables besoins décisionnels. Pour atteindre cet objectif, ils doivent répondre aux questions suivantes :
‒ Quels sont les différents types de décisions que je dois prendre à court et à moyen termes (quotidiennes, ponctuelles, exceptionnelles…) ?
‒ Quelles problématiques actuelles dois-je impérativement solutionner ?
‒ De quelles opportunités je souhaite faire profiter mon entreprise ou association ?
‒ Quels risques ou menaces peuvent remettre en cause la performance et la pérennité de mon entreprise ou association ?
C’est en répondant du mieux possible à ces quatre questions clés qu’un décideur – quel qu’il soit – pourra cerner le périmètre exact des données dont il va avoir vraiment besoin de manière récurrente ou ponctuelle. Ce faisant, le volume de données à collecter sera plus réduit (que celui obtenu sans méthodologie) et la nature de ces données sera plus pertinente et cohérente. Pour mieux comprendre l’importance d’une collecte méthodique des besoins décisionnels, nous allons appliquer cette approche à un cas concret tiré de la réalité : l’étude de cas « Fild’Or » et la comparer au résultat initial obtenu sans méthode.
L’étude de cas Fild’Or
L’entreprise Fild’Or est un groupe de 1 230 personnes constitué de 4 filiales de production et d’une filiale de commercialisation de produits textiles pour les particuliers, par le biais d’un réseau de 24 points de vente – répartis dans les principales grandes villes de France et de quelques pays d’Europe du Nord (Belgique, Pays-Bas, Danemark, Suède et Pologne) – en pleine croissance (ouverture de 1 à 3 boutiques par an).
Pour mieux maîtriser cette croissance, le nouveau directeur de ce réseau de points de vente souhaite mettre en place des indicateurs de pilotage pour lui et ses différents responsables de magasins. Pour ce faire, il demande à chacun d’entre eux de lui envoyer une liste des indicateurs dont ils auraient besoin. Une fois ces listes collectées, il les consolide et obtient ainsi pas moins de 37 indicateurs ou types de données différents : chiffre d’affaires mensuel réel et prévu par référence et famille de produits, volume de ventes mensuel réel et prévu par référence et famille de produits, évolution mensuelle des stocks de produits et d’emballages, suivi mensuel des effectifs et de la masse salariale par statut/fonction (vendeurs, administratifs, cadres, agents de maîtrise, employés…), évolution mensuelle des achats de produits et d’emballages, suivi des frais généraux des magasins (loyers, charges collectives, assurance civile, électricité, chauffage, produits d’entretien…), suivi mensuel de la marge commerciale par produit et par point de vente…
Après un an d’utilisation de ces indicateurs, il s’avère que :
- le travail de collecte quotidien des données nécessaires à ces 37 indicateurs est très fastidieux et mobilise trop fortement le personnel des magasins ;
- l’analyse de ces indicateurs par les directeurs de magasins ne peut pas être réalisée mensuellement comme prévu, faute de temps suffisant ;
- lorsqu’ils arrivent à faire cette analyse, ils éprouvent de grandes difficultés à en retirer des enseignements cohérents.
Afin d’y remédier, le directeur du réseau propose à chacun de ses responsables de magasins de lui préciser les principaux points forts et points faibles de leurs magasins respectifs, pour déterminer les indicateurs nécessaires à une parfaite maîtrise des marges de manœuvre de leurs points de vente. Par exemple, pour un responsable de magasins, ce point faible est le nombre élevé d’impayés dû aux paiements par carte bancaire (CB). Il propose à ce dernier un indicateur hebdomadaire qui présente le pourcentage d’impayés par CB comparé à la moyenne des autres points de vente, en lieu et place des indicateurs initialement demandés (recettes mensuelles par point de vente et par vendeur, suivi hebdomadaire des dépenses d’achats…). Le directeur du réseau se rend compte de deux choses : le nombre d’indicateurs réellement utiles à chaque responsable de magasins est très réduit (entre 4 et 6 suivant les magasins) et ces indicateurs sont assez variables d’un magasin à l’autre (car chaque magasin est différent des autres : leurs points forts et leurs faiblesses ne sont pas toujours les mêmes). Il comprend ainsi le danger de standardiser les indicateurs de pilotage, sous prétexte de les homogénéiser pour réduire leur coût d’obtention, plutôt que de les personnaliser.